Europe des paiements : le Portugal à l’aube d’une évolution protéiforme

Pour son premier rendez-vous au Portugal, l’European Women Payments Network (EWPN) a réuni au sein du théâtre Tivoli BBVA à Lisbonne la quasi-totalité de l’écosystème des paiements portugais autour des thèmes liés à la diversité, à l’Open Banking, à la réglementation et à l’innovation en matière de paiement. Soutenu par les associations fintech nationales Afip et Portugal Fintech, le régulateur Banco de Portugal et la banque BBVA, l’événement a permis d’instaurer un débat pluriel au sein d’un marché marqué par une évolution protéiforme.

« La valeur de notre écosystème réside dans la diversité. Nous devons vivre avec la diversité et apprendre avec elle ». Les déclarations réalisées lors de la première table-ronde de la conférence « DSP2 : Portugal et la concurrence européenne » organisée par l’EWPN à Lisbonne le 6 février 2019, ont marqué le ton du positionnement de l’écosystème portugais face aux multiples mutations liées au marché européen des paiements. Tourné vers l’international par essence, ce secteur, qui reflète parfaitement l’histoire et le positionnement d’un pays résolument ouvert à la globalisation, amorce ainsi, quelques mois après l’adoption d’une DSP2 ayant suscité de multiples débats, une des plus profondes évolutions de son économie. « Entrée en vigueur au Portugal le 12 novembre 2018, avec un léger retard par rapport à d’autres pays européens, la DSP2 contribue à la diversité du marché des paiements portugais », explique ainsi Vinay Pranjivan, expert en protection des consommateurs.

Vision « optimiste » de la DSP2

Si cette réglementation est d’une importance capitale pour cet écosystème, c’est également en raison de ses vertus en termes de sécurisation, de renforcement de l’efficience des solutions et des droits des consommateurs, sans oublier la promotion de l’innovation. Mot clé qui, semble-t-il, a toujours été très bien ancré dans le positionnement de l’acteur national SIBS, émetteur du scheme Multibanco et actif sur tous les maillons de la chaîne du paiement, des DAB au paiement sur Internet, en passant par la carte. « SIBS sait s’adapter à la réglementation et a démontré ses capacités en termes d’innovation », assure ainsi, d’emblée, Tiago Bianchi de Aguiar, directeur de la stratégie, SIBS. Tournée vers l’avenir, l’entité dispose d’équipes totalement dédiées aux API et affirme que son ADN est imprégné, historiquement, dans le marché des paiements portugais et est de ce fait très lié à l’innovation et à l’Open Banking. Conscient des évolutions suscitées par la nouvelle donne réglementaire, l’acteur travaille lui-même sur des API dédiées aux banques du pays. Et pour cause, à en croire les professionnels de ce secteur, « de nouvelles opportunités, liées au développement du digital, vont naître au Portugal ». D’où une vision optimiste sur cette réglementation qui, selon certains, à également permis de « sortir de la zone grise certaines activités qui existaient déjà dans le marché ». Pour le régulateur Banco de Portugal lui-même, représenté à la conférence par Rui Pimentel, directeur des moyens de paiement « beaucoup de travaux sont à réaliser sur la DSP2 dans le pays. Un nouveau cadre va émerger, impliquant de nouvelles mesures en termes de dialogue avec les acteurs dits « non traditionnels » et qui sont désormais intégrés à l’écosystème des paiements ». Une évolution déjà enclenchée par ce régulateur national notamment grâce à l’initiative FinLab, dédiée au dialogue avec les acteurs de la fintech, qui n’est pas sans rappeler ce qui est déjà réalisé par d’autres régulateurs nationaux, l’image de la Banque de France et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) avec les pôles dédiés aux fintechs.

Les vertus de la globalisation

Ce positionnement national n’occulte pas les ambitions nourries à l’international par certains acteurs des paiements portugais. Rappelons-le, par son histoire et son positionnement géographique, le Portugal est un pays résolument tourné vers le monde. Et le marché des paiements reflète, aujourd’hui plus que jamais, cette situation. A l’instar des accords noués par certaines entités locales avec l’acteur asiatique Alipay, nombreux sont les nouveaux entrants du marché des paiements portugais qui envisagent, en vue d’échapper à la position dominante de SIBS et d’atteindre une certaine taille critique, de s’exporter au-delà des frontières lusitaniennes. « Grâce à la DSP2 et à l’Europe des paiements, des opportunités fleurissent en dehors du Portugal », assure ainsi Sebastião Lancastre, CEO, Easypay, citant la France ou encore les Pays-Bas comme potentielles régions d’accueil. De quoi confirmer l’idée que « l’Open Banking est une évolution qui se fera progressivement ».

Les enjeux sociologiques liés aux nouveaux usages

A la question « comment voyez-vous le marché des paiements portugais dans cinq ans ? », les professionnels de l’écosystème lusitanien sont unanimes : « un secteur plus concurrentiel » et « une digitalisation des transactions, au détriment du paiement par carte et des espèces ». Mais cela ne se réalisera pas sans le renouvellement générationnel tant attendu par les défenseurs de la vision progressiste, conscients que les consommateurs actuels sont déjà fortement habitués au paiement en espèces et aux services proposés par SIBS dans les DAB du pays (retrait d’argent, consultation de comptes, chargement de mobile, paiement de factures, paiement des impôts, etc. ). « La transformation digitale représente d’autant plus un enjeu essentiel face au vieillissement de la population et au renouvellement des usages qui va s’opérer avec la génération des Millennials ». Et de fait, à l’image des jeunes Italiens, les jeunes Portugais sont très friands de nouvelles technologies. « Les utilisations de Facebook, les systèmes de partage d’informations via les réseaux sociaux sont très ancrés dans les usages des jeunes de notre pays et cela va constituer le terreau favorable à l’éclosion de nouveaux services comme l’agrégation d’informations », souligne ainsi Carla Dias, directrice du développement, BBVA Portugal.

Illustration phare de cette situation : l’Instant Payment. Lancée dans le pays fin septembre de façon consensuelle par la communauté bancaire portugaise, cette innovation représente pour le moment, selon le régulateur Banco de Portugal, un moyen de paiement embryonnaire que les acteurs devront développer avec un certain temps et un modèle économique adapté. « L’un des aspects fondamentaux de cette innovation est son prix », rappelle ainsi Vinay Pranjivan. Et pour cause, à la différence des autres pays européens, le Portugal est caractérisé par une offre pléthorique de services sur les DAB comme le paiement des factures ou encore des impôts. Difficile de justifier, dans ce contexte, le recours au virement instantané pour ce type de transactions. « Pour le moment, l’Instant Payment se prête à ce type de paiement dans le cas d’une urgence, comme lors de l’oubli du paiement des impôts. Pour que l’Instant Payment devienne la solution dominante sur ce type de transactions, il faudra que le prix proposé soit moins élevé que celui pratiqué sur les autres instruments », explique-t-il. Une situation qui n’occulte également pas, comme dans d’autres pays européens, les efforts qui seront à réaliser en termes de pédagogie et de communication pour favoriser le passage à cette nouvelle donne marché, moderne et européenne.

Andréa TOUCINHO

Pôle Études | Partelya Consulting

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