La conférence annuelle de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) s’est déroulée le 25 novembre 2021 à Paris. L’évolution de la stabilité financière européenne a été l’un des thèmes phares de cet événement. L’objectif : finaliser les mises en conformité en cours (Bâle III, Solvabilité II…) et préparer l’avenir de la finance européenne en prenant en compte l’évolution des usages, les technologies émergentes, ainsi que les enjeux géostratégiques propres à l’économie globalisée.
La mise en œuvre de Bâle III constitue l’un des points centraux de l’écosystème financier européen. Ainsi, rappelons que cette législation a été adoptée dans le contexte de la crise financière de 2007-2008 pour renforcer le secteur bancaire et proposer des garanties solides au bénéfice de l’économie et de la société. Il n’est donc pas surprenant que ce sujet figure parmi les premiers thèmes de la conférence annuelle de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR), organisée à Paris, le 25 novembre 2021. « Cette législation a connu différentes phases successives », expliquent les experts de la régulation, indiquant que l’un des principaux enjeux reste la nécessité « d’introduire davantage de sensibilité aux risques », par exemple en lien avec l’activité crédit ou les enjeux environnementaux. A cette évolution contextuelle – qui devrait connaître de nouvelles étapes d’ici à 2025 – s’ajoute une autre volonté des instances européennes : le renforcement de l’Union Bancaire Européenne. « L’ACPR est convaincue de l’importance de Bâle III pour la solidité du secteur financier européen », poursuivent les intéressés, ajoutant qu’une approche similaire s’applique à Solvabilité II, dans le domaine de l’assurance, où l’heure est à la prise en compte des nouveaux risques (nouveaux actifs, sécurité des flux transfrontaliers…).
Un nécessaire « carré de garanties »
Cette structuration du cadre réglementaire européen s’inscrit dans une politique de renforcement et d’adaptation de la supervision financière aux risques émergents. Selon François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, qui a introduit l’événement, il est essentiel de proposer « un carré de garanties » : une égale sécurité, une égale conformité – notamment sur la lutte anti-blanchiment et contre le financement du terrorisme et la protection des données personnelles -, une égale responsabilité et une égale accessibilité – l’inclusion numérique et financière constituant une valeur clé. Cet objectif doit se refléter dans des actions concrètes, par exemple le soutien à des initiatives opérationnelles, comme European Payments Initiative (EPI) dans le secteur du paiement. « Il est important d’accélérer sur EPI », insiste François Villeroy de Galhau, ajoutant que ce projet est essentiel pour « gagner la bataille contre les big techs ». Autres actions proposées : l’amélioration des paiements transfrontaliers – travaillée dans le cadre du Financial Stability Board (FSB) – et la globalisation de l’approche sur les travaux digitaux, qui doivent être « transfrontières » et « transmatières » – c’est-à-dire faire dialoguer les autorités concernées -. « Les Banques Centrales doivent innover et défendre le bien commun que constitue la monnaie de Banque Centrale », rappelle l’intéressé, citant les travaux sur l’Euro digital comme l’une des grandes missions à mener dans les prochaines années. « Ce projet ne peut pas se faire sans les banques commerciales, lesquelles seront bien évidemment préservées grâce, notamment, à un volume plafonné, à un modèle économique encadré et à leur participation active sur la partie distribution », explique-t-il. A cela s’ajoute la nécessité de réglementer les nouveaux acteurs et les nouveaux actifs, thème déjà adressé d’un point de vue opérationnel par les instances européennes avec le projet MiCA dédié à la réglementation des cryptoactifs, par exemple. De quoi confirmer que la nécessaire supervision du secteur financier se veut de plus en plus couplée à une logique européenne homogène. Et pour cause, selon le pôle de stabilité financière de la Banque de France et l’ACPR, « les institutions financières non bancaires jouent désormais un rôle essentiel dans la stabilité financière pour deux raisons : leur rôle croissant dans le financement de l’économie et les interactions de plus en plus importantes avec le secteur bancaire ». Les institutions financières non bancaires représentent actuellement 50% des actifs mondiaux, « notamment en raison de la croissance des fonds d’investissement », ajoutent les experts, nuançant qu’au sein de l’écosystème financier français, la situation reste maîtrisée, « l’exercice de résistance mené au niveau européen ayant confirmé la résilience du secteur bancaire français ». Une situation qui n’exclut pas la vigilance.
LCB-FT : évolutions de la gouvernance
Dans le domaine de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, par exemple, l’heure est au renforcement de la supervision avec une 6ème directive s’inscrivant dans un contexte de recrudescence des cas de blanchiment en Europe. « Ce texte vise à répondre aux divergences en termes de supervision en Europe et s’inscrit dans un objectif de renforcement des exigences LCB-FT ». Une logique qui se matérialise par la mise en place d’une autorité de supervision européenne spécifiquement dédiée à ce sujet : l’AMLA pour Anti Money Laundering Authority. « Cette instance est notamment dédiée à la prise en compte des nouveaux risques, par exemple dans le domaine des échanges transfrontaliers, et joue un rôle décisif dans la coordination des supervisions nationales. Elle est également dédiée au soutien des cellules de renseignement financier comme Tracfin en France », expliquent les experts de l’ACPR. L’AMLA pourra ainsi, à terme, jouer un rôle dans le renforcement d’une approche coordonnée, en Europe, entre les cellules, voire une standardisation des process. Elle pourra ainsi, par exemple, développer des analyses opérationnelles conjointes. Une évolution décisive en termes de gouvernance lorsque l’on sait que les obligations de vigilance se renforcent à l’échelle européenne. Parmi les principaux points d’attention : les cryptoactifs, avec des exigences renforcées en termes de surveillance notamment sur les transferts de fonds, ou encore l’identification des clients, surtout dans le cadre d’entrées de relation à distance. Autre évolution liée à la gouvernance : la nomination d’un compliance manager au sein des entités et la création de collèges de supervision LCB-FT.
« LUCIA » : un outil suptech au service de la LCB-FT
Les technologies émergentes ne sont pas seulement considérées comme une source de nouveaux risques aux yeux des régulateurs français. A l’instar de la blockchain qui avait fait l’objet d’une expérimentation menée par la Banque de France (projet Madre), l’intelligence artificielle est elle-aussi considérée comme une technologie à fort potentiel pour la supervision financière. Concrètement, l’ACPR a testé un dispositif d’intelligence artificielle appliqué à la LCB-FT dans le cadre de missions réalisées sur place. Baptisée « LUCIA », la solution répond à plusieurs enjeux, parmi lesquels l’exploitation de données non structurées, la possibilité d’affiner le ciblage lors de la sélection de dossiers à travailler individuellement. En somme, un dispositif capitalisant sur la connaissance des risques pour une meilleure efficience opérationnelle.
Andréa Toucinho
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