Europe des Paiements : cinq axes de réflexion définis par l’UE

 ÉDITO DÉCEMBRE 2019

Créer une plateforme réunissant régulateurs, acteurs bancaires et experts des paiements pour opérer un partage de visions et d’expériences et apprendre les uns des autres. Tel a été l’objectif du séminaire « Crossing the chasm to the retail payments of tomorrow” organisé à Bruxelles les 26 et 27 novembre 2019. Organisé par la Banque Centrale Européenne (BCE) et la Banque Nationale de Belgique (BNB), l’événement a été introduit par Pierre Wunsch, gouverneur de la BNB, et Benoît Coeuré, membre du directoire de la BCE.

Améliorer la structure de l’Europe des paiements et renforcer la place de l’Euro au sein de l’économie globalisée. Tels sont deux des principaux objectifs des institutions européennes dans un contexte où le paiement semble de plus en plus sorti de son microcosme technique pour devenir l’un des réels fers de lance de l’activité économique globale. Preuves de cette réalité : l’aspect de plus en plus stratégique que revêt le paiement cross border, ou encore l’intérêt de plus en plus marqué des nouvelles générations – qualifié par les autorités de forme de « curiosité » – pour une activité longtemps laissée aux mains de l’écosystème bancaire et désormais apparentée à un domaine d’innovation à part entière, voire à une verticale porteuse de la Tech. Dans un contexte de globalisation et d’historique marqué par une dualité entre schemes de paiement internationaux – Visa, MasterCard en tête – et schemes domestiques, la place de l’Europe des paiements paraît plus que fondamentale pour participer à l’équilibre financier mondial.

Créer une identité européenne

Pour Benoît Coeuré, économiste de profession et membre du directoire de la BCE, assurer la « résilience » et « l’autonomie stratégique » de l’Europe dans le domaine du paiement est un élément primordial pour garantir la pérennité de l’économie globalisée. C’est également l’un des axes forts des autorités européennes pour les prochaines années. Un objectif qui, selon lui, passe par cinq aspects précis. Tout d’abord, une « reachability » paneuropéenne pour les consommateurs, impliquant notamment un certain niveau en termes de marché d’acceptation. Ensuite, une exigence en termes de commodité et de modèle économique viable, les solutions proposées devant être flexibles et ergonomiques, aussi bien pour les commerçants que pour les consommateurs. Autres axes de travail, la sécurité qui passe par la mise en conformité avec les réglementations européennes, et la création d’une réelle identité et gouvernance européenne, incluant la création d’un logo et d’une stratégie propre à l’UE dans le domaine du paiement. Enfin, à plus long terme, l’acceptation globale en dehors du seul écosystème européen. Selon l’intéressé, l’achèvement de ces travaux ne pourra se faire sans un « fort  engagement » de toutes les parties prenantes du marché et un travail collaboratif entre Etats membres. Un effort qui a déjà en partie démarré avec la création du scheme européen instant payment, pourtant perçu et appliqué selon différents rythmes et modèles selon les pays. D’où la création de la solution TIPS (Target Instant Payment Settlement) par la BCE, répondant à l’impératif selon lequel « les acteurs européens doivent avoir la même solution d’instant payment ». Autre élément perçu comme moteur potentiel de cette européanisation, « la digital currency », avec des travaux qui doivent être menés au niveau européen. L’arrivée des big techs dans le domaine du paiement contribue au renforcement de la problématique même si, comme l’a souligné Benoît Coeuré, « les acteurs émanant des autres régions du monde doivent se conformer aux normes européennes s’ils veulent proposer des solutions dans la région ». De quoi confirmer l’idée que « les paiements deviennent stratégique pour l’économie européenne ».

La place du consommateur européen

L’une des clés de l’aboutissement de l’Europe des paiements : l’expérience client. Longtemps oublié dans cette vague d’innovations et d’harmonisation européenne, le consommateur européen a pourtant une place prépondérante à jouer dans l’adoption des solutions nées de l’UE. Cela passe non seulement par des travaux en termes de pédagogie et d’information mais également par le fait d’assurer un « level playing field » reposant sur l’équilibre entre sécurité/protection et ergonomie/innovation. « La sécurité constitue un gage de confiance » qui dopera l’utilisation des nouveaux outils, souligne Ivo Mechels, directeur exécutif de Test-Achats, organisation consumériste basée en Belgique. « Attention à ne pas exclure une partie de la population », s’empresse-t-il d’ajouter en référence à l’illectronisme relevé sur certains segments. Parmi les innovations qualifiées de potentielles pour le consommateur européen, l’intéressé relève la biométrie, qui permet de conjuguer sécurité et commodité. Tout l’enjeu repose en réalité sur une question simple : comment créer le besoin ? Et a fortiori le besoin en solution de paiement européenne ? Et c’est là que l’information prend tout son sens. « L’ère numérique permet de faire évoluer la situation et les mentalités. Il existe une nouvelle façon de penser, relevée aussi bien du côté des acteurs du terrain que du côté des consommateurs, avec une matérialisation concrète et révélatrice relevée dans plusieurs pays européens : l’absence d’intérêt pour les solutions domestiques ». Le volet européen – et le besoin d’interopérabilité qui en découle – est donc crucial. La prochaine étape, selon de nombreux professionnels, repose sur une évolution du paiement vers le concept d’invisibilité et ce, parallèlement à un besoin accru de contrôle des dépenses, paradoxalement. Etape qui va notamment passer par la définition d’un équilibre entre privacy et invisibilité.

Nouveaux acteurs : un accélérateur du marché

Dans ce contexte, comment analyser la reconfiguration de l’échiquier entre acteurs existants et nouveaux entrants ? « Les barrières s’évanouissent et les consommateurs aspirent à plus d’ergonomie en matière de paiement ». C’est donc tout naturellement que la concurrence se renforce. L’accès au marché, permis par la réglementation, a dopé deux typologies de nouveaux entrants, selon les experts européens : les fintechs et les e-money providers. Une troisième typologie tend à apparaître, à savoir les big techs, aux caractéristiques propres : capacité en data analytics et large réseau d’utilisateurs, notamment. Pour rivaliser avec ces mastodontes, les entités existantes devront elles-aussi se lancer dans la course à l’efficience technologique et la satisfaction client, en sachant qu’un réel potentiel existe en termes de différenciation : l’innovation dans le paiement cross border, avec des besoins urgents au sein de l’UE. « Les consommateurs ne sont plus satisfaits des transactions rapides : ils veulent de l’instantané ». De quoi rappeler la portée sociétale de l’instant payment. Prendre en compte le consommateur européen et répondre à ses requêtes semble donc être le nouveau leitmotiv des acteurs européens dans le domaine du paiement, avec quelques exemples évoqués lors des débats : la solution Swish propre à l’écosystème suédois, ou encore la banque portugaise Millennium BCP qui a su franchir le cap de la banque 2.0 en proposant une application futuriste et un concept d’agences – ActivoBank – favorisant l’autonomie des clients grâce aux outils digitaux.

Par Andréa TOUCINHO, Directrice Études, Prospective et Formations,

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