Europe des paiements : vers un paysage multipolaire

Brexit, évolutions des Places financières, Big Tech, fintech européenne, souveraineté européenne dans le domaine des paiements et du numérique. Tels ont été les axes de réflexion étayés lors de la conférence « Fintech, paiement, Europe : quels enjeux géostratégiques en 2019 ? ». Dans un contexte marché de plus en plus marqué par une économie globalisée, la question de la place de l’Europe semble de plus en plus prégnante.

« Une Europe à plusieurs vitesses ». L’expression de Michel Cojean, Délégué Général de l’European Institute of Financial Regulation (EIFR), reflète de façon concrète l’évolution polymorphe observée dans le continent européen, dans le domaine des paiements comme dans différents secteurs d’activité. Malgré une actualité en demi-teinte avec la recrudescence de l’euroscepticisme dans certains Etats et un Royaume-Uni marqué par un Brexit imminent, les principaux pôles financiers européens sont de plus en plus engagés dans une logique transfrontalière comme Paris, Dublin, Francfort ou encore Amsterdam. Situation conjuguée à l’éclosion de pôles financiers d’avenir, à l’instar de Milan et Lisbonne, qui surfent tous deux sur une politique nationale favorable à la nouvelle économie et au développement de start-up et fintechs, sans oublier le joker de l’international, utilisé par la capitale portugaise pour développer investissements et opportunités business dans différentes régions du monde, à l’image de l’Afrique (Angola), l’Amérique Latine ou encore l’Asie, grâce à la passerelle constituée par la Région Administrative Spéciale (RAS) de Macao. Difficile, dans ce contexte, de définir une réelle politique de souveraineté européenne à l’heure où des mastodontes de l’Internet et globaux par essence se positionnent dans une stratégie de masse, parallèlement à des volontés d’investissements massifs en Europe. « L’émergence d’un secteur financier chinois » est réel, affirme ainsi Michel Cojean en guise d’illustration.

Autre source d’hétérogénéité, les habitudes et cultures en matière de paiement, malgré une volonté et des efforts certains – du côté des institutions et du terrain – pour définir une législation commune et favoriser l’uniformisation des règles et des usages. Exemple : la sandbox, souhaitée et défendue par les acteurs de la fintech en Espagne, ce qui n’est pas forcément le cas dans la totalité des pays. « Il existe un réel besoin de coordination européenne », indique ainsi Geoffroy Goffinet, Adjoint au Directeur des Agréments, Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), ajoutant que l’Autorité Bancaire Européenne (European Banking Authority – EBA) auparavant établie à Londres et dorénavant à Paris, œuvre sur ce sujet. « Des initiatives terrain font bouger les lignes et poussent à la coordination européenne », insiste-t-il.

Et pour cause, la globalisation suscitée par l’arrivée des acteurs de l’Internet et l’émergence de technologies numériques – et donc transfrontières par essence – ne sont pas sans modifier la donne. Jérôme Raguénès, Directeur du Numérique, des systèmes et des moyens de paiement de la Fédération Bancaire Française (FBF), rappelle ainsi que l’enjeu de souveraineté européenne est de plus en plus pris en compte dans le marché des paiements, qui connaît une recrudescence des sujets liés à la cybersécurité, pris très au sérieux par les banques ainsi que par les organismes européens, à l’image de la Fédération Bancaire Européenne (FBE). Si les fintechs font déjà l’objet de nombreuses collaborations avec les entités financières, notamment sous l’effet d’initiatives émanant d’acteurs individuels ou d’institutions comme Finance Innovation en France, les big techs, quant à elles, paraissent promptes à modifier les règles du jeu. « Ces acteurs bénéficient d’une puissance en termes de fonds ainsi que d’une force informatique » précise l’intéressé, ajoutant que leur impact sur la stabilité financière est réel. En somme, en faisant bouger les lignes, en renforçant la concurrence et en instaurant une nouvelle culture de la relation client, axée sur la dématérialisation, l’international et l’instantanéité, quel sera l’impact sur le fonctionnement du secteur et les modèles bancaires ? La question est réelle et les réponses relativement divergentes selon les cultures des différentes entités et des divers pays concernés, matérialisant une fois de plus, la fragmentation et la richesse du marché européen des paiements.

 

En Italie, le paiement digital connaît une croissance deux fois supérieure à la moyenne européenne, selon Italia Fintech

300 fintechs dans 60 segments d’activité. Tel est l’état des lieux du marché de la fintech en Italie. Essentiellement basées à Milan, pôle économique et financier de la Péninsule, avec l’existence non négligeable de wealth techs dans la capitale, Rome, en raison de la présence de clients fortunés, ces entités connaissent une évolution relativement importante dans le pays. D’abord, en termes de relations avec les entités financières traditionnelles, les échanges avec la Banque d’Italie étant nombreux non seulement pour étayer les sujets DSP2, communs à toute l’Europe, mais également pour négocier sur des sujets plus spécifiques, comme la sandbox ou encore les efforts à réaliser en termes de pédagogie et d’information clients au sein de la Péninsule. Car rappelons-le l’information client est un sujet essentiel à adresser en Italie, comme dans d’autres pays du sud de l’Europe marqués par des usages considérés comme traditionnels – espèces ou chèques dans certains cas – et une nouvelle génération appétente aux services nés du Web et du mobile. Au cœur de l’adoption des nouveaux usages : le renouvellement générationnel. Et le paiement cristallise très bien cette situation. Le paiement digital connaît ainsi, en Italie, une croissance deux fois supérieure à la moyenne européenne. Moteurs de cette évolution, la carte de paiement ainsi que les innovations découlant du marché, à l’image de l’Instant Payment, prometteur dans le pays. « L’Instant Payment s’est développé en Italie, sous l’effet des initiatives des banques, soucieuses d’adresser notamment la cible des auto-entrepreneurs et les nouvelles générations, mais il existe encore des interrogations en termes de business models », indique Marta Ghiglioni, Directrice Générale, Italia Fintech, rappelant qu’une initiative de paiement via SMS lancée par la communauté bancaire nationale avait échoué en raison du coût. D’où l’importance des modèles économiques. « Si les Italiens doivent payer pour payer, ils préféreront utiliser le cash », résume-t-elle, non sans humour.

Andréa TOUCINHO

Pôle Études | Partelya Consulting

 

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