L’éclatement de la crise ukrainienne, en février 2022, n’a pas été sans conséquences pour l’écosystème des paiements. Ainsi, ce conflit géostratégique confirme une fois de plus la portée de plus en plus politique de cet écosystème dont l’impact financier est inexorable. Parmi les principales actions entreprises par les acteurs du paiement, dans la lignée des prises de position des pays occidentaux, l’exclusion de la Russie du réseau international Swift, dès la fin du mois de février. Cette déconnexion est une étape conséquente d’un point de vue géostratégique, Swift regroupant plus de 11 000 organisations financières et bancaires dans plus de 200 pays. Ce système de messagerie électronique sécurisé, dont la création remonte aux années 1970, permet les transactions bancaires entre pays. De quoi renforcer l’isolement de la Russie à l’échelle internationale. Néanmoins, rappelons qu’une alternative a été créée par ce pays, le système de messagerie FPFS, qui existe depuis 2017. A ce jour, près de 400 banques russes l’utiliseraient, en plus de quelques banques chinoises.
Autre mesure capitale liée au secteur des paiements, la suspension des activités des acteurs de la carte en Russie. Visa, Mastercard et American Express ont ainsi annoncé leur retrait du pays, début mars 2022, en sachant que cela s’est ajouté à une décision similaire de Paypal. Une initiative symbolique mais dont les conséquences se font surtout sentir du côté de la population, en particulier pour les porteurs de cartes qui se trouvent à l’étranger. Ainsi, rappelons que la Russie avait créé son propre scheme de paiement MIR, en 2014, suite à des sanctions appliquées suite à l’annexion de la Crimée. Cela confirme bien que la Russie travaille depuis un certain nombre d’années à des solutions lui permettant de s’affranchir des grands acteurs internationaux du paiement. De quoi expliquer la vigilance des autorités occidentales. Christine Lagarde, présidente de la Banque Centrale Européenne, a ainsi pris la parole mi-mars 2022 pour alerter l’écosystème sur l’enjeu que peuvent représenter les cryptoactifs en période d’instabilité géopolitique. Selon l’intéressée, cette technologie resterait à l’heure actuelle une « innovation vulnérable dont l’encadrement reste complexe ». Ainsi, rappelons que les cryptoactifs sont cités comme innovation à surveiller dans le cadre de la lutte contre le financement du terrorisme (AML5 et suivant). De ce fait, ils sont également pointés par Christine Lagarde comme potentielle technologie refuge de certains acteurs russes.
A l’instar de ces stratégies, la Russie a également travaillé sur un projet avec d’autres pays émergents, en l’occurrence les autres BRICS (Brésil, Inde, Chine et Afrique du Sud), pour créer un scheme de paiement commun qui serait baptisé BRICSpay. Ce projet, annoncé en 2019, pourrait contribuer à donner un nouvel input géostratégique à l’écosystème des paiements. Surtout, ne l’oublions pas, la période de crise géopolitique que nous vivons actuellement renforce les réflexions sur les questions de souveraineté qui étaient déjà relativement prégnantes au sein de l’écosystème européen comme le démontrent les récentes réflexions autour projet European Payments Initiative (EPI).
Andréa Toucinho